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Conseiller d’entreprises, amateur de sciences et d’arts, ce théoricien de la monnaie est entré en littérature en modernisant les héros de la mythologie. Il publie « Le Cavalier de l’Olympe »

BIOGRAPHIE

PRENDRE le train gare Montparnasse. Descendre à Tours. Changer de quai, direction Langeais, ou bien Azay-le-Rideau, selon les heures. Rouler ensuite une quinzaine de kilomètres dans la campagne tourangelle -bords de Loire, âge classique, souvenirs scolaires, Rabelais, Ronsard, Descartes… Arriver dans une maison de village, ancienne longère rénovée, agrandie. Marcher le long des caves troglodytes, autrefois habitées. Traverser le salon (piano à queue, partition de Schumann, cheminée, table pour les échecs). Monter au premier étage, petit bureau clair, fenêtres donnant sur la campagne, bois blond, silence.

Voilà ce que fait François Rachiine chaque semaine. Dès jeudi, quand il le peut, histoire d’écrire tranquille. Une fois achevés ses cours à Sdences-Po et à l’université de Nanterre, une fois finis les rendez-vous et dossiers de son cabinet de conseil, l’économiste monte dans le TGV avec son chien, un petit disque dur en poche, et se mue en romancier, trois jours de suite chaque semaine.

Il y a maintenant trois bonnes années que cela dure. La mutation commence à porter ses fruits. Trois forts romans inspirés par la mythologie grecque et un récit d’une autre veine, achevé entre-temps, qui paraîtra plus tard. Pas mal pour un débutant… Le triptyque grec met en scène des figures à la fois célèbres et mal connues, vues sous un angle inhabituel. En 2002, c’est un Sisyphe qui, au lieu d’être accablé par une condamnation sans fin, finit par surmonter son destin et parvient à la maîtrise de lui-même. Ce premier roman est déjà en cours de traduction dans plusieurs pays.

Le second volet, Le Cavalier de l’Olympe, vient de paraître. Il retrace les aventures mouvementées du petit-fils de Sisyphe, Bel- lérophon, et de Pégase, son célébrissime cheval. Le guerrier intrépide affronte un monstre et des Amazones, s’enivre de victoires et finit par vouloir s’installer parmi les dieux de l’Olympe, ce qu’il va payer cher… La trilogie s’achèvera avec Perse’e, dont la rédaction est déjà bien avancée. Ces héros apprennent à leurs risques et périls à se passer des dieux. On les croyait victimes, ils conquièrent leur indépendance. D’aventure en aventure, ils triomphent et des dieux et d’eux-mêmes. Bref, ces vieux Grecs sont très modernes.

Sous couvert de roman historique, c’est une réflexion sur nous-même, nos sources et notre avenir, qui est suggérée. Si l’on ajoute que ces récits délimitent un monde à eux, baigné par la lumière de l’aurore grecque, soutenu par une construction habile et une écriture fine, on aura compris que cette conversion à la littérature s’annonce bien.

Mais comment cela vient-il ? Pourquoi un théoricien de la monnaie, épistémologue distingué, auteur de plusieurs essais remarqués, se lance-t-il brusquement dans une série de récits se déroulant dans la Grèce antique, archaïque même ? Jusque-là, François Rachiine passait d’abord pour un intellectuel hyperactif. Il a fondé et animé le club Archipel, où se retrouvaient régulièrement des représentants de disciplines multiples. Il est aujourd’hui responsable, avec François Dalle, du groupe de réflexion Droit de suite qui rassemble au sein d’une structure originale plusieurs personnalités scientifiques et artistiques. Il est aussi membre de la commission de Silguy pour la réforme de l’ENA et conseiller de grands dirigeants d’entreprise. Et voilà qu’il se met au vert, avec pour seul objectif d’avoir, à la fin du jour, rédigé quelques paragraphes qui tiennent ?

La réponse est simplissime : le plaisir et la nécessité d’écrire. « Je me suis interdit d’écrire pendant longtemps, avoue François Rachli- ne. Et puis j’aifini par reconnaître un jour, au terme d’un cheminement personnel, que c’est ce que je dois faire. Dans le fond, je ne saurai pas expliquer exactement pourquoi, mais j’éprouve de manière évidente cette nécessité. Si je n’écris pas, je vais moins bien ! » Voilà

une raison qui suffit, même si le mystère reste entier.

Alors, pourquoi les Grecs? « Je suis convaincu que nous sommes, plus que nous ne le pensons habituellement, toujours contemporains de la Grèce antique. Le moment grec, avec en particulier l’émergence de la démocratie, fait encore partie de notre époque, dans la mesure où bon nombre des idées qu’il a forgées demeurent agissantes en sous-main. Ce qui m’intéresse, c’est de tenter d’approcher la mise en place de ces idées qui nous ont constitués, tout autant que l’héritage biblique. »

« UNE PENSÉE PRAGMATIQUE »

En ce cas, pourquoi le roman ? On pourrait imaginer une nouvelle réflexion, comme il y en eut déjà bon nombre, sur Athènes et Jérusalem, sur leur contraste et leur relation… « Il me semble que, pour explorer ces strates de fond qui opèrent à distance dans l’histoire, une pensée narrative, une pensée en récit, en mouvement dans une intrigue, est de loin préférable. Ll se pourrait bien qu’un des traits du XXL siècle soit de surmonter la division entre le mythe et la raison, de tenter l’expérience d’une pensée physique, pragmatique, et non plus abstraite. »

Quand on connaît de longue date François Rachline, on comprend mieux ce cheminement. Cet intellectuel a le sens de la synthèse et celui de la formule. Il suffit de l’entendre, par exemple, comparer le capitalisme à une bicyclette (les deux ne tiennent debout qu’en avançant) pour savoir qu’il détient une sorte de génie pour mettre des concepts en image. Comme il possède également un goût obstiné pour l’insolite, l’interdisciplinaire, les intersections inattendues d’où peuvent jaillir des idées, on s’étonne moins qu’il se soit engagé sur ces nouveaux chemins d’écriture.

En quittant sa maison, on l’entend de loin jouer du piano. Schumann, apparemment. Car ce diable d’homme ne fait pas seulement de l’aquarelle et des parties d’échecs en fumant le cigare, il déchiffre aussi à peu près n’importe quelle partition à livre ouvert. Une journée d’écriture s’achève, il doit y avoir du feu de bois dans la cheminée. François Rachiine dit se sentir moins bien quand il n’écrit pas quelque temps. Il ajoute : «L’écriture crée de l’angoisse et la résorbe. » Il faut imaginer François Rachiine comme Sisyphe : heureux.

Roger-Pol Droit

Le Cavalier de l’Olympe, de François Rachline. Albin Michel, 376 p., 20 €.

Les Grecs et nous – Le Monde