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En profondeur, mais sans jamais l’énoncer clairement, ni l’afficher pour en débattre, l’école est traversée par deux mouvements historiques difficilement conciliables.

Une tenaille historique

Le premier remonte à Jules Ferry et affirme que la formation initiale a pour devoir l’émancipation des origines : tous les élèves doivent être Français, adhérer à un même projet, appartenir à une même histoire (« nos ancêtres les Gaulois… »). Ici, l’acquisition d’une identité républicaine l’emporte sur toute autre considération, quelles que soient les racines des uns ou des autres.

Le second est lié au vaste mouvement de décolonisation enclenché dans l’après-guerre, d’une part, et à la montée plus récente d’un certain relativisme culturel, d’autre part. Il entend respecter les origines de chacun et ne pas heurter les convictions. Suivant cette logique, accepter les spécificités culturelles devient sinon prioritaire, en tout cas impératif.

Le télescopage de ces deux courants provoque un certain désarroi. Il a conduit progressivement à un repli sur les cultures familiales, avec un double corollaire : les valeurs du clan supplantent les valeurs universelles, ce qui est contraire à l’ambition républicaine ; le soutien des familles fait de plus en plus défaut à l’école, ce qui la fragilise davantage. Prise entre ces deux vents contraires, celle-ci s’efforce de s’ajuster, tant bien que mal, mais perd peu à peu en lisibilité. Le racisme et l’antisémitisme s’infiltrent en son sein, sans que ses armes pour s’y opposer soient bien adaptées aux circonstances. Raison pour laquelle, notamment, fut créée la DILCRAH.

 

Nul n’est assigné à résidence

Le système éducatif français secondaire – dont le collège et le lycée forment le cœur, après le primaire – se bat jour après jour contre les discriminations ou les contre-vérités, avec parfois de grandes difficultés (comment faire comprendre ce qu’est une minute de silence ? Comment imposer la vérité de la Shoah ? Comment rendre impossible l’émergence de jeunes candidats au djihadisme ?).

Au-delà des compétences et des talents de tel ou tel enseignant, notre système éducatif n’a pas pour finalité l’insertion dans la société, mais l’élection par le concours. Sacralisé, ce dernier s’accompagne de l’idée que la sélection vaut formation. Quant à sa difficulté, elle se mesure à la proportion de ceux qui ont échoué, ce qui n’est guère une valorisation de l’originalité individuelle. Le concours est donc un salut, mais par la conformité à une règle. Contrairement à d’autres systèmes –anglo-saxons notamment – ce salut vient chez nous essentiellement du programme, lui aussi sacro-saint. Et pour l’aborder comme pour l’absorber, le travail solitaire est privilégié. Dès leur arrivée dans la « vie active », les jeunes découvrent soudain la nécessité de l’objectif et non du programme, mais aussi la supériorité de l’équipe sur le travail individuel.

 

Intégrer la diversité des origines

Certes, depuis quelques années, l’institution reconnaît qu’il faut intégrer le rapport aux autres, évaluer les compétences plutôt que les savoirs (6 pages de compétences pour évaluer les élèves du primaire, par exemple), et elle considère aujourd’hui que la démarche est plus importante que le résultat. Cela va dans le bon sens. Cependant, n’est pas encore posé, au cœur-même de la formation, la double exigence de l’autonomie de jugement individuel, garant de l’esprit critique, et du travail en groupe, qui ne revêt un sens que dans la durée. La première comme le second représentent le premier apprentissage de la démocratie et le meilleur antidote à toute forme d’ostracisme.