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En 1929, quand il présente son Rapport sur la doctrine de la LICA[1], Lazare Rachline résume la pensée des ligueurs d’une formule : « Notre doctrine, c’est la conscience, notre programme, c’est la justice. » Une vision simple et percutante, souvent reprise, mais qui soulève une question majeure, au moment où le Droit de vivre s’interroge sur le rôle de la LICRA aujourd’hui : cette conscience est-elle universelle ? Si la réponse devait être négative, le fondement même de la Ligue s’anéantirait.

Justice

Que la justice puisse constituer un programme ne pose pas trop de difficultés. Comment imaginer une lutte contre la racisme et l’antisémitisme qui s’appuierait sur l’injustice ? Serait-il concevable, au nom de l’antiracisme, d’accepter que la couleur, l’ethnie, les origines justifient le rejet, l’ostracisme ou l’élimination ? De même, lutter contre l’antisémitisme serait-il possible sans prôner pour tout adepte d’une religion ce qui vaudrait pour les Juifs ? La justice est bien un programme, et l’on peut même s’étonner que ce ne soit pas à minima celui de tout institution humaine digne de ce nom.

 

Conscience

En ce qui concerne la conscience, la difficulté vient de ce que ce terme, difficile à définir, porte en lui plusieurs sens. Il désigne la perception de soi et du monde extérieur (psychologie), le caractère distinctif de l’humanité par rapport à l’animalité (catégorisation), des processus cérébraux (biologie) et la connaissance du bien et du mal (morale). C’est dans ce dernier sens qu’il est ici employé. Cela entraîne immédiatement une autre question : tous les êtres humains ont-ils la même conscience du bien et du mal ?

Universalisme

La Bible ne soutient pas que nous sachions d’emblée ce qui est bien, et ce qui est mal. Le verset 9 du premier chapitre de la Genèse signale seulement que le Jardin d’Eden contient l’arbre de la « connaissance du bon et du mauvais. » A nous de déterminer, suivant les circonstances, ce qui penche d’un côté ou de l’autre. Tout être humain sait-il, au fond de lui-même, quand il fait le bien et quand le mal ? Hitler avait-il conscience de ses ignominies ? Si vous pensez que non, vous le mettez hors de cause. Tout porte à croire au contraire qu’il le savait pertinemment, comme tous les monstres de l’histoire, qui dissimulent leurs crimes, qui refusent de se reconnaître coupables, qui ferment les yeux sur leurs actes, qui récusent leur conscience. En lui quelque chose lui commandait de se blanchir. Si je tue quelqu’un, je peux me dédouaner en affirmant que c’était légitime (pour le bien de la société, par exemple) ou que j’obéissais à Dieu (argument des terroristes islamistes) ou encore que je corrigeais une iniquité (motif d’un assassin victime d’inégalités).

Il existe en réalité une différence de taille entre faire le mal, et s’en justifier. Tout être humain, en son for intérieur, le ressent, plus ou moins confusément. Et c’est pour cela qu’il cherche à se disculper, en espérant annihiler ce sentiment profond. Affirmer que la conscience est notre doctrine est dès lors fondé, puisque la conscience morale du bien/bon et du mal/mauvais réside en chacun de nous, plus ou moins enfouie. Reste à lutter pour que cette vérité intérieure s’impose au grand jour et ne puisse être niée. Reste à se battre au nom de cet universel, ce que fait la LICRA. C’est en profondeur à cela qu’elle sert.

[1] Rappelons qu’en 1927, date de la création de la Ligue international contre le racisme et l’antisémitisme, les ligueurs l’ont intitulée LICA mais l’articulaient à l’oral : LICRA.