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27 novembre 1967. Lors de sa conférence de presse sur l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, le général de Gaulle consacre une petite vingtaine de minutes au conflit entre Israël et ses voisins arabes. Quand L’Arche paraît, la polémique fait rage à propos d’un extrait resté fameux, la phrase qui définit les Juifs comme un « peuple d’élite, sûr de lui et dominateur ». Son auteur eut beau par la suite confier, notamment à Alain Peyrefitte, qu’il s’agissait à ses yeux d’un compliment et qu’il regrettait de ne pouvoir en dire autant des Français, le mal était fait. Le débat organisé par le magazine entre Raymond Aron, Robert Misrahi et Emile Touati, fait alors ressortir la confusion entre « peuple juif » et « Etat d’Israël ». Certain qu’elle n’est pas le fruit du hasard, Raymond Aron déplore le passage de « l’ère du mépris » à « l’ère du soupçon ». D’autant que le Général s’interrogeait en creux sur la légitimité du jeune Etat en parlant de « l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables… »

Revoir cette partie de la conférence ne manque pourtant pas de frapper. En visionnaire, le Général déclare au sujet d’Israël : « Maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » Il met en garde contre les inconvénients qu’on ne manquera pas d’imputer à Israël, en dépit de l’admiration que provoque alors chez lui, fin connaisseur, le courage des soldats israéliens et les accomplissements de leur pays.

Il se trouve que mon père, Lazare Rachline, lié pendant la Résistance au chef de la France libre, dont il avait été le représentant personnel en avril 1944, avait organisé début juin 1952, à la demande de son ami Menahem Begin, qui deviendra plus tard Premier ministre d’Israël, une rencontre entre les deux hommes. Au cours de l’entretien, le Général « a tracé une ligne droite sur la carte – en commençant par le nord, depuis le Lac de Tibériade, jusqu’au sud – Eilat, en suivant la ligne du Jourdain (en somme, le tracé des frontières de la Palestine avant la création d’Israël, Jérusalem comprise) et a ajouté : « C’est ainsi que doit être la ligne – toute droite. » »[1]

En 1967, De Gaulle ne s’exprime plus en son nom personnel, mais au nom de la France. Alors que l’Egypte vient de fermer l’accès au golfe d’Akaba, accès naturel d’Israël à la mer Rouge, il avertit que la France ne soutiendra pas celui qui déclenchera les hostilités. Certes, le président français prévoyait une défaite militaire arabe, mais il a peut-être oublié un point fondamental : Israël ne pouvait pas, et ne peut toujours pas se permettre de perdre une seule bataille, contrairement à la France de 1940.

Un des ministres de la Justice du Général, Jean Foyer, rapporte au tout début de ses Mémoires cette réplique de son chef : « Souvenez-vous de ceci : il y a d’abord la France, ensuite l’Etat, enfin, autant que les intérêts majeurs des deux sont sauvegardés, le Droit ». Cette réflexion renvoie naturellement à la raison d’Etat, qui doit inspirer mais aussi guider celui qui préside aux destinées d’un peuple et d’une nation. Qu’eût décidé le Général s’il avait été à la tête de l’Etat hébreu ? La raison d’Etat aurait primé, je n’en doute pas.

 

[1] Extrait de la lettre que Ben Zion (Homsky), alors aux côtés de Menahem Begin, adressa le 11 décembre 1967 à Lazare Rachline. Le texte intégral de ce courrier se trouve sur le site lr-lelivre.com qui accompagne mon ouvrage L.R. – Les silences d’un résistant, publié chez Albin Michel en 2015.