Historiquement, fort peu de sources énergétiques ont puissamment contribué aux développements des activités économiques. Depuis trois siècles – en laissant donc de côté la force animale, au règne multimillénaire – ont successivement dominé la vapeur (bois et eau), le charbon, le pétrole et le gaz. La fin du xxe siècle et la première décennie du xxiième ont vu monter le nucléaire et les renouvelables (éolien, photovoltaïque, biomasse). De nos jours, la vapeur ne joue plus aucun rôle tandis que le charbon et le gaz contribuent chacun pour 25% aux besoins énergétiques du monde et le pétrole pour un peu moins de 35%. Le restant ne représente que 15%.
C’est là une photographie. Le film est plus instructif. Il montre que la part de chaque énergie majeure croît pour atteindre un maximum avant de décliner inexorablement. Un peu comme si l’importance de chacune suivait une parabole. Le charbon s’impose à la vapeur dès les années 1820, le pétrole prend le relais 50 ans plus tard, le gaz se développe très rapidement après la Seconde guerre mondiale, le nucléaire et les renouvelables sont encore aujourd’hui globalement marginaux. Plus important, chaque source énergétique tend à structurer le paysage économique. A la vapeur sont associés tissage, chemins de fer, transports maritimes et fluviaux ; au charbon, métallurgie, carbochimie, sidérurgie ; au pétrole, automobile, pétrochimie, aviation ; au nucléaire, l’ensemble du monde électronique. Impossible de satelliser des objets avec un simple moteur à essence ou de faire fonctionner un ordinateur à la vapeur. En même temps, le glissement d’une source énergétique structurante à une autre témoigne d’un changement de monde, même si d’anciennes industries peuvent coexister longtemps avec les plus avancées (matériel électronique et sidérurgie, satellites et mobilier en bois, aviation et moteurs diesel, etc.). Par surcroît, la domination d’une énergie ne survient jamais brutalement. Des périodes plus ou moins longues de fondus enchaînés témoignent de la relative lenteur du processus. Il reste que ne sont pas les accidents – fussent-ils tragiques comme celui de Fukushima – qui engendrent le passage d’une énergie déterminante à une autre mais les seuils de rentabilité.
La transition peut durer plusieurs décennies, période en général accompagnée de crises : le rendement attendu des investissements dans la technologie vieillissante est de moins en moins attractif tandis que celui espéré de la nouvelle l’est insuffisamment. Au point que les capitaux, déçus des deux côtés, risquent alors de s’orienter plutôt vers le jeu financier. C’est le cas aujourd’hui puisque le coût d’un Méga Watt Heure (MWH) est de 30 à 42€ environ pour le nucléaire, 60 à 70 pour le gaz naturel, 70 à 80 pour le charbon, 80 à 90 pour l’éolien terrestre, 110 à 120 pour la biomasse et 300 à 600€ pour le photovoltaïque.
Le solaire est donc encore 10 fois plus cher que le nucléaire. Cet écart, pour un pays comme la France – dont 75% de l’électricité provient de centrales nucléaires – pose une grande question : comment accélérer la transition vers l’énergie la plus disponible, ouverte à tout le monde, en quantité astronomique, propre, apparemment sans risque ?
Nous ne voyons guère qu’un moyen : développer la recherche fondamentale pour aboutir le plus vite possible à des techniques éprouvées de conservation de l’énergie solaire, à grande échelle. C’est au niveau européen, au moins, que devrait être prise une décision aussi engageante et stratégique.