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« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », chantait Charles Aznavour : une époque où la croissance économique d’un pays comme la France avoisinait 5,5% par an. A ce rythme-là, entre 1945 et 1975 (les « Trente glorieuses »), la richesse nationale était multipliée par deux en une génération. Un jeune se projetait alors dans l’avenir avec confiance. Non seulement il ne rencontrerait guère de difficultés pour trouver du travail à la sortie du système éducatif mais sauf malchance, sa situation, quelle qu’elle fût, ne pouvait que s’améliorer.

De nos jours, avec des taux de croissance inférieurs ou égaux à 1, doubler le niveau de vie exige, c’est selon, entre 70 et 140 ans. Autrement dit, ce dernier restera le même à peu de choses près pendant plusieurs générations. A cette aune, l’avenir n’est plus à portée de main, il s’évanouit dans de lointaines brumes et ressemble à un présent continu. Cela ne peut pas rester neutre en termes psychologiques. A l’espèce d’euphorie du dernier tiers du XXe siècle a succédé une morosité quelque peu décourageante. D’autant que la perception du futur s’est transformée.

Une éclipse partielle

A l’époque des Trente glorieuses, l’avenir prolongeait naturellement le passé. La ligne droite représentait un résumé symbolique de la marche en avant des sociétés modernes, centralisées ou démocratiques. Ainsi, par exemple, quand le Soviet suprême de l’Union soviétique évoquait dans les années 1960 le chemin à parcourir, il n’imaginait pas que celui-ci put s’écarter de la ligne tracée par le Parti. Le Gosplan balisait tout, il ne restait plus au peuple qu’à exécuter. L’avenir n’était pas une espèce de jungle à défricher, ou un espace sans direction comme aujourd’hui, mais une route marquée au sol et fuyant vers un horizon une fois pour toutes dessiné par l’idéologie. S’écarter de cet axe, ou contester son unicité, exposait les contrevenants à la réprimande, à la destitution, à la Sibérie. Non seulement les autorités ne pouvaient pas se tromper, mais les croire dans l’erreur relevait du crime absolu.

La vision des démocraties à économie de marché, pour plus nuancée, relevait de la même logique. La croissance économique balisait le futur avec un progrès censé suivre une trajectoire rectiligne. La croyance en des temps florissants était tellement implantée dans les esprits qu’il fallut attendre le Club de Rome des années 1960 pour s’interroger sur les bornes éventuelles du développement. L’avenir conservait ses incertitudes, bien entendu, mais son orientation ne soulevait guère de scepticisme. La plupart des experts en prévision pouvaient exprimer à l’infini des fantasmes, ils rencontraient une écoute attentive. Les futurologues abondaient. Qu’ils se fussent le plus souvent fourvoyés n’empêchait pas leurs thèses de circuler ni de recevoir crédit. D’une manière ou d’une autre, ce qu’ils prévoyaient finirait bien par arriver.

De nos jours, cette sorte de boussole a disparu, remplacée par une cécité que l’incertitude des lendemains nourrit. Tel un moloch à l’avidité insatiable, le présent paraît tout absorber, au point de diluer jusqu’à la notion d’avenir. Comme si nous étions englués dans l’immédiat. D’autant que le sort de la Terre, dont il est question tous les jours, provoque un pessimisme ambiant lourd à supporter, tout particulièrement pour les jeunes. Certains souffrent déjà de ce que l’on appelle une éco-anxiété, véritable angoisse existentielle qui intériorise un phénomène global donné pour certain. D’où le mot d’ordre qui ne cesse de s’imposer : sauver la planète.

De fait, depuis quelques décennies, les critiques les plus vives se sont intensifiées à l’égard d’un modèle économique conduisant au tarissement possible des ressources énergétiques fossiles (charbon, pétrole, gaz) et provoquant des dommages à l’environnement qui pourraient se révéler irréversibles (CO2, effet de serre, biodiversité menacée, dérèglement climatique). Aussi, l’idée qui gagne peu à peu les esprits est celle d’une remise en cause de la croissance au point que certains prônent désormais le retour à un activité réduite. En oubliant peut-être que nous serons très probablement 10 milliards sur terre en 2050 et que les besoins en énergie croîtront d’ici là de façon quasi exponentielle.

Quand l’Allemagne a renoncé au nucléaire conventionnel pour relancer les centrales à charbon et accroître sa dépendance à l’égard du gaz russe, au début des années 2000, elle l’a fait sous l’impulsion d’écologistes sincères mais mal informés. Ignoraient-ils que seule cette énergie ne produit pas de CO? Quand les gouvernements français sont allés dans le même sens, jusqu’au revirement de 2021/2022, ils ont persévéré dans la même l’erreur en écoutant ceux qui s’opposaient à une énergie décarbonée au nom de la préservation de la Nature. Avec pour conséquence l’effet inverse : n’envisage-t-on pas désormais en France des coupures d’électricité à l’approche de l’hiver ?

Dans ce contexte, les jeunes sont néanmoins de plus en plus nombreux à contester un système de production et de consommation non respectueux de l’environnement. D’un point de vue statique, ils ont parfaitement raison. D’un point de vue dynamique, ils ont totalement tort.

L’autre monde arrive

Tout se passe comme si nous entrions dans le futur à reculons alors que se prépare activement une révolution dans le domaine de l’énergie, équivalente à l’invention de la roue. Le message ici adressé aux jeunes, et aux moins jeunes, est que d’ici une poignée d’années, la planète retrouvera sa plénitude.

Tout le monde sait, plus ou moins, que le charbon, le pétrole, le gaz existent en quantités limitées (sans parler des aléas dus à la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine), et que leur usage rejette du CO2 dans l’atmosphère. Tour le monde sait ou devrait savoir que les énergies renouvelables sont intermittentes (dépendantes du vent et de l’ensoleillement) et que la production des éoliennes et des panneaux solaires n’est pas décarbonée. Tout le monde sait que l’énergie nucléaire conventionnelle rejette des déchets radioactifs dont le traitement est long et difficile. Autrement dit, tout le monde pense que la planète va connaître des heures sombres si rien n’est engagé pour corriger le tir d’une croissance économique folle. Et parmi les premières mesures s’imposerait la décroissance. Ce raisonnement est faux.

Apparemment, personne ne semble savoir que le nucléaire se conjugue au pluriel et que, à côté du conventionnel, il en est d’autres, propres – appelons-les « verts ». En France avec des entreprises privées, en Chine, aux Etats-Unis, au Canada, en Inde se développent de nouvelles technologies (la quatrième génération nucléaire) qui révolutionnent déjà la production d’énergie. A très court terme apparaîtront des centrales localisables partout et de toutes petites tailles (quelques mètres cubes), mais surpuissantes. La propulsion navale, l’agriculture, la santé, l’eau et l’assainissement, le bâtiment, l’économie numérique et de très nombreux autres domaines en bénéficieront aussitôt.

Et surtout, il deviendra effectif, d’ici peu, d’employer comme combustible des réacteurs nucléaires verts les déchets entreposés sur le territoire de l’Hexagone. Autrement dit, cette innovation majeure permettra de mettre à disposition des consommateurs (entreprises, collectivités locales, particuliers) une électricité abondante, sûre, non intermittente et à bas prix, tout en nettoyant la planète. Il ne s’agit pas là d’un miracle mais du résultat d’une recherche intensive et de l’inventivité dont l’esprit humain, heureusement, refuse de se départir.

L’espoir exprimé dans cet article ne renvoie pas à une échéance lointaine mais à quelques années à peine. D’ici 2025/2027, le monde entrera dans une ère énergétique nouvelle. Il est donc raisonnable d’envisager sereinement une prospérité inédite. Le nouvel avenir est résolument vert. Il redevient possible pour les jeunes de s’y projeter avec confiance.