Menu

Bien des facteurs expliquent la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 et le rejet de François Hollande pour 2017, mais il en est trois qui dérivent de l’histoire et de la culture profonde de notre peuple: la réforme, la vérité, la trahison. Les deux premiers ont été fatals à l’ancien président, le troisième risque bien de l’être à l’actuel hôte de l’Élysée.

Pendant son quinquennat, Nicolas Sarkozy n’a pas arrêté de clamer qu’il accomplissait des réformes nécessaires et qu’il disait la vérité aux Français. Ce sont là deux engagements qui paraissent pleins de bon sens mais qui lui ont cependant coûté très cher.

La France a une culture du conflit, pas du consensus. Elle avance plutôt par à-coups, soubresauts, révoltes, heurts, jacqueries, révolutions. Annoncer que l’on va conduire des réformes, comme le font d’ailleurs en ce moment tous les prétendants déclarés à l’élection présidentielle, ne peut qu’inquiéter nos compatriotes. Une réforme comporte toujours le risque de se faire à mon détriment, pense chacun secrètement, quand il ne le hurle pas dans la rue. Réformer? Mais pourquoi donc si ce n’est pour me procurer un avantage détenu pour l’instant pas d’autres?

L’Europe, moteur enrayé du changement

Le général de Gaulle soulignait que nous sommes soucieux d’égalité, mais désireux de privilèges. Il faut donc dans notre pays s’attacher à des réformes sans trop le dire. Ce fut pendant des décennies le bénéfice retiré de l’Europe: sorte de levier glissé sous l’Hexagone, elle obligeait, bon an mal an, à réformer progressivement le droit, la fiscalité, la règle du jeu économique (notamment la concurrence) ou la gestion monétaire. Silencieusement, des transformations s’effectuaient sans qu’on s’en rende vraiment compte au jour le jour.

Machiavel déjà notait que les Français célèbrent leurs défaites comme si c’étaient des victoires, en y croyant d’ailleurs

Depuis une vingtaine d’années, le ralentissement de l’intégration et la faiblesse croissante de la démarche communautaire, supplantée par la méthode dite intergouvernementale, la pression réformatrice de l’Union européenne sur la France s’est quelque peu relâchée. En conséquence, nous avons retrouvé de l’énergie contre les réformes de fond, qu’il s’agisse des retraites ou du marché du travail, comme l’atteste pour celui-ci l’opposition à la loi El Khomeri.

Conduire chez nous des réformes est déjà pour un homme politique un travail de titan, mais ajouter à cela qu’on dit la vérité témoigne au pire de l’inconscience, au mieux du rêve. Depuis quand peut-on dire que les Français aimeraient la vérité? Machiavel déjà notait qu’ils célèbrent leurs défaites comme si c’étaient des victoires, en y croyant d’ailleurs. Paris n’a-t-elle pas une rue d’Alésia, grande défaite, et même une rue d’Aboukir, certes petite victoire sous Napoléon III mais désastre sous Napoléon, qui vit toute la flotte française détruite? Qui reconnaît, même encore aujourd’hui, que la France fut un pays vaincu lors de la Seconde Guerre mondiale, même si elle se trouvait du côté des vainqueurs? N’a-t-il pas fallu attendre 1973 pour que paraisse la première monographie consacrée au maréchal Pétain, mais par Robert Paxton, un américain? Le docteur Gubler n’a-t-il pas publié pendant des années des bulletins entièrement faux sur la santé du président Mitterrand, qui élevait ainsi le mensonge en vérité d’État? Jérôme Cahuzac n’affirmait-il pas, les yeux dans les yeux, être parfaitement honnête, alors qu’il mentait effrontément?

Préférez la légende

Vous direz, avec raison, que ces menteurs ont fini par être démasqués, mais les Français, eux, en sourient sous cape. Quand donc Nicolas Sarkozy s’employait à réformer tout en étant soucieux de dire la vérité, il se trompait deux fois. Il fallait réformer sans trop le dire, et ne jamais revendiquer la vérité, tout en la pratiquant. Exercice très difficile, il est vrai. Il n’est pas certain qu’un homme comme Alain Jupé ait reçu ce message, puisqu’il répète à l’envi qu’il va dire la vérité aux électeurs pour pouvoir engager des réformes de façon crédible.

L’ennui avec la vérité à propos des réformes, c’est le sentiment de tromperie qui peut lui succéder. Quand François Hollande vise la finance comme principal adversaire, ou lance qu’il taxera jusqu’à 75% les revenus élevés, il s’expose à la pire des déceptions s’il ne respecte pas son engagement. Une déception qui rapidement s’écrit «trahison». Dans l’inconscient collectif français, c’est condamnatoire.

Si un homme politique souhaite gouverner la France en la faisant progresser, il doit agir réellement, sans néanmoins trop le revendiquer

N’ayant pas un goût très affirmé pour la vérité, nous avons tendance à croire que nos échecs proviennent toujours d’une trahison. À Crécy, en 1346, les Anglais avaient utilisé les archers contre notre chevalerie, sans nous prévenir de leur mobilité. À Azincourt, en 1405, les mêmes ne nous avaient pas signalé qu’ils se dissimulaient derrière des marécages, où s’abîma la totalité de la chevalerie de France en chargeant. En 1870, à Sedan, les Prussiens connaissaient la topographie des lieux, ce qui prouve qu’on les avait renseignés. En 1940, la Wehrmacht emprunta la route des Ardennes pour envahir notre territoire, ignorant qu’elle devait se heurter, comme prévu, à la ligne Maginot. À Diên Biên Phu, en 1953/1954, le Viêt Minh aurait dû penser, comme nous, que la cuvette était imprenable. Et même Saint Etienne, battue en 1976 par le Bayern de Munich en finale de la coupe d’Europe des clubs de football, incrimina les poteaux de but qui repoussèrent un tir stéphanois potentiellement victorieux. Ce qui n’empêcha pas d’ailleurs les joueurs de cette équipe de descendre les Champs-Élysées en vainqueurs. Voir plus haut.

Boucs émissaires

Quant à Édouard Balladur, donné gagnant à l’élection présidentielle de 1995, son qualificatif de traître à Jacques Chirac, dans l’esprit des Français, lui coûta l’élection. Dans tous ces cas –mais on peut multiplier les exemples autant qu’on veut–, la trahison explique l’échec, pas l’impréparation, la maladresse ou la supériorité de l’adversaire. On retrouve ici la vérité des faits, que nous n’aimons pas. Il est préférable d’en appeler au bouc émissaire: les Juifs, les francs-maçons, les élites et pourquoi pas les musulmans.

Si donc un homme politique souhaite gouverner la France en la faisant progresser, il doit agir réellement, sans néanmoins trop le revendiquer; communiquer sur son action avec vérité, sans dire qu’il la détient; promettre fort peu pour éviter la trahison. En un mot, travailler à construire un mythe. Bon courage, Mesdames et Messieurs les politiques.

Lire sur Slate.fr : http://www.slate.fr/story/118881/trois-erreurs-francaises-en-politique