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Quelle guerre épargne les civils ? Quelle guerre n’entraîne pas le malheur et la désolation ? Quelle guerre est belle ? Quelle guerre n’entretient pas la revanche ? Quelle guerre ne provoque pas d’injustices ? Quelle guerre n’est pas .dangereuse politiquement ? Aucune. Et pourtant…

Pourtant, il est des guerres préférables à la. paix. 11 est des guerres nécessaires. Ce sont celles des démocraties contre les totalitarismes. Celles des sociétés éprises de libertés individuelles contre celles qui méprisent l’individu. Celles qui font primer le dialogue contre celles qui le refusent. Celles qui ont placé le doute au cœur de leur pensée contre celles que la certitude conduit. Celles qui favorisent les questions contre celles qui s’enferment dans des réponses définitives.

Le XX’ siècle a connu deux de ces guerres majeures. Une, directe, contre le nazisme et l’autre, froide, contre le stalinisme. Chaque fois, des voix se sont élevées pour sauvegarder la paix. Certains intellectuels de gauche’ ont cru défendre les hautes valeurs de la démocratie en opposant leur pacifisme à Hitler et leur tolérance à Staline. Mais c’était retourner contre elle-même les valeurs de la gauche. Dans les deux cas, il ne fallut pas longtemps pour mesurer les conséquences dramatiques de l’erreur. La reconnaître et la regretter prit à certains parfois beaucoup de temps !

Les totalitarismes se moquent des nuances, des arguments, de la persuasion, du doute. Ils pratiquent des jeux à somme nulle : j’ai tout, tu n’as rien. Ils ne défendent pas des idées, mais prônent la dictature d’une seule : éliminer l’opposant. Ils ne se soucient pas des hommes, simples otages de la force. Ils ne cherchent rien d’autre qu’à imposer pour toujours l’uniformité de leur vision du monde. Par l’enfermement et par la mort. Qui ne pense pas comme moi doit venir à ma pensée ou mourir : tel est le postulat de l’autoritarisme. Il suffirait presque de retourner toutes les phrases précédentes pour définir, même maladroitement, les visées de la démocratie.

Le XXIe siècle s’ouvre avec un nouveau totalitarisme : le terrorisme. Il a grandi, mûri, le voilà désormais adulte. Comme ses frères jumeaux, le nazisme et le stalinisme, il ne poursuit qu’un seul but, asservir. Comme eux, il emploie un seul moyen, la force. Comme eux, il utilise les hommes comme des instruments, et seulement comme des instruments. Comme eux, il opère dans la certitude. Comme eux, il subordonne toutes ses actions à un rêve d’exclusion et d’extermination de ses ennemis. Comme eux, il écarte tout dialogue. Comme eux, il est aveugle à sa propre cécité. Quels que soient les masques derrière lesquels il se cache, les déguisements dont il s’attife ou les causes dont il se réclame.

Contre les deux premiers totalitarismes, les démocraties ont dû faire appel à la force. Elles ne l’ont pas fait en invoquant la justice divine ou en proclamant la supériorité de leur âme, mais tout simplement parce que leurs valeurs fondamentales étaient niées ou menacées gravement. Il était d’abord question pour elles d’assurer leur droit de vivre et de laisser vivre, de penser et de laisser penser différemment.

Ceux qui critiquent les Américains aujourd’hui critiquent en fait l’indispensable réaction des démocraties devant ce qui les nie. Il leur arrive même de rechercher dans l’attitude arrogante – et il est vrai critiquable – d’un capitalisme boursier triomphant les justifications du terrorisme. Ils ressemblent à ceux qui s’interrogent d’abord sur le comportement provocateur d’une femme violée plutôt que sur son agresseur, ou à ceux qui pensent que l’assassin d’un enfant avait quelque raison d’être exaspéré par ce sale gosse qui l’avait bien cherché. L’indispensable examen de conscience auquel doivent se livrer les démocraties ne validera jamais le terrorisme.

Contre ce troisième totalitarisme, le terrorisme, ce nouveau cancer généralisé, les mêmes réactions que jadis valent. Les Américains sont déjà sur le terrain, mais le théâtre des opérations est bien plus vaste. Au-delà de l’Afghanistan, il nous englobe, nous Européens. Cette guerre n’est certes pas idéale, ni juste pour tout le monde, ni enthousiasmante. Elle est risquée. Elle devrait durer. Elle peut déraper. Elle est, hélas, nécessaire.. Le terrorisme ne mérite pas la paix.

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